La pensée compulsive, source de souffrance

Texte inspiré de la lecture du livre « Nouvelle Terre » d’Eckhart Tolle

La pensée humaine définit en Occident notre manière de concevoir notre Moi. Nous nous identifions à elle, ce qui a été mis en lumière par la phrase célèbre de Descartes « Je pense donc je suis ».
La plupart des être humains sont pris au piège de ce flot de pensées continu qui jaillit dans leur esprit et se définissent en fonction de lui. Ils sont comme possédés par ces pensées et n’ont pas conscience que ces dernières dressent un voile sur la réalité, un rempart bloquant tout accès au moment présent.
Si l’on suit le fil d’une pensée, celle-ci nous emmène dans un autre monde et nous plongeons alors dans l’inconscience du moment présent sans même nous en rendre compte.Combien de fois par jour suivez-vous le fil d’une pensée du type « Il faudrait que je pense à faire ceci ou cela » et vous vous retrouvez une heure plus tard en train de penser « Quand je pense à ce que m’a dit cette personne l’autre jour et dire que je n’ai pas réagi ! » ou « Il faut vraiment que je sois plus ceci ou cela si je veux avoir une chance d’être enfin heureux ! » ? Personnellement, cette absorption de mon Etre dans la pensée compulsive a été mon quotidien pendant une grande partie de ma vie et me plongeait la plupart du temps dans une inconscience dont je n’avais bien évidemment pas conscience. Ce processus était si fort que je me suis sentie très souvent incapable d’être en contact avec la Nature, de me sentir bien en sa présence. Mon esprit n’était que concepts et étiquettes et la beauté de la Nature m’était impossible à percevoir de manière vivante. Je la voyais comme une carte postale, sans reliefs, sans me sentir reliée à elle.

J’ai trouvé une réelle compréhension du processus de la pensée et un réel apaisement à la lecture de « Nouvelle Terre » D’Eckhart Tolle ainsi que de son livre « Le Pouvoir du moment présent ».L’auteur fait un parallèle très parlant en comparant le phénomène de la pensée à celui de la digestion ou de la circulation sanguine. Pour lui, l ‘énoncé « Je pense » est faux au même titre que « Je fais circuler mon sang » ou « Je digère les aliments que j’ai ingéré » car la pensée arrive sans que nous le décidions, c’est une réaction en majeure partie involontaire. Elle est. Si nous focalisons notre Etre sur la pensée, nous sommes donc dans l’inconscience
Le mental appelé autrement l’ego par l’auteur est en quelque sorte le créateur de nos pensées. Pour Eckhart Tolle,  « le mental cherche toujours à nier le moment présent et à s’en échapper. Autrement dit, plus on est identifié à son mental, plus on souffre ».

Le mental est un processus analytique qui nous permet de conceptualiser notre réalité, de l’étiqueter, de la nommer. Ce processus est utile et précieux mais peut devenir dévastateur et source de souffrance si il est en permanence activé. Et c’est le cas pour la plupart des êtres humains. Notre addiction au concept et à l’analyse entrave notre capacité à ressentir le monde, à percevoir la réalité de manière sensorielle. Lorsque nous percevons le monde avec nos sens, avec notre corps, en étant pleinement présent, il n’y a pas de souffrance. Nous sommes dans l’ici et maintenant. Nous ne sommes plus identifiés à notre Moi social, plus identifiés à notre histoire, à nos rêves, nous sommes. Tout simplement. Cet état d’être si simple est pourtant l’une des choses les plus difficiles à vivre car nous sommes prisonniers de notre mental, apparentés à des sortes de cerveaux sur pattes, percevant le monde uniquement à travers le prisme de notre mental.

Lorsque nous sommes uniquement dans notre tête, le monde perd de sa densité, de son relief et nous avons le sentiment de vivre et revivre les mêmes choses. Notre regard devient éteint et nous nous sentons insatisfaits, sans cesse en recherche de nouveaux concepts, de nouvelles perspectives pour nous sentir vivants. Nous partons alors dans des quêtes sans fin qui nous amènent tôt ou tard à la désillusion et nous trouvons démunis face à cette insatisfaction chronique. Pour avoir échangé avec de nombreuses personnes sur ce sujet et pour avoir passé le plus clair de mon temps à vivre cela, je sais que cette souffrance est une réalité pour bon nombre d’entre nous. C’est en cela que focaliser son attention sur notre corps, sur nos sens aident à rompre avec cette addiction à la pensée et à cet enfermement mental. Laisser les pensées passer, les laisser faire leur vie sans suivre leur sillage est l’une des clés pour accéder au moment présent et sentir la Vie qui nous habite. J’ai cru un temps que je serai un jour en capacité de ne plus penser et d’être simplement présente, me servant de la pensée et du mental uniquement lorsque la réalité le nécessiterait. Peut-être est-ce possible pour certaines personnes mais j’ai ressenti un soulagement intérieur très fort lorsque j’ai accepté l’idée que mon mental serait toujours aussi fourmillant de pensées et de jugements. Que ce j’avais à faire n’est pas de m’en débarrasser mais de l’accepter et de rester consciente pour ne pas me faire happer par ce processus puissant et déconnectant de la réalité.

« Bien sûr, pour fonctionner en ce monde, nous avons besoin du mental ainsi que du temps. Mais vient un moment où ils prennent le contrôle de notre vie, et c’est alors que s’installent le dysfonctionnement, la souffrance et le chagrin ».